La parole politique est dangereuse, elle a des conséquences !

J’ai 20 ans… de millitantisme !

Purée de punaise, on va fêter ça… Oui, en juillet prochain, je pourrai fêter les 21 ans de la fois où Sophie m’a « rabattue » alors que je venais de finir mon inscription à la fac, et dirigée vers une table où Carole m’a déballé son catéchisme. Je n’ai entendu qu’un mot : « syndicat », pour le reste, je ne sais pas si ça m’a beaucoup parlé. Mais chez moi un syndicat c’est normal. Donc j’ai adhéré.

Je ne devais pas avoir l’air si enthousiaste, car Carole m’a dit une chose normalement totalement interdite quand on « fait des cartes » : « c’est pas obligé, tu peux réfléchir… »

Hein, quoi, on peut réfléchir ?! Par soi-même tu veux dire? J’ai adhéré quand même, un peu destabilisée qu’un syndicat m’invite à réfléchir, j’avoue.

Quand dans votre vie vous invite-t-on à réfléchir ? Les gens disent souvent que les militants sont bornés. Et la télé, elle vous ouvre l’esprit ? Les journaux, ils vous paraissent à l’image de ce que vous vivez ? Moi j’ai toujours eu l’impression de ne pas m’y retrouver dans « les médias ». Vous me direz que la plupart des gens ne se retrouvent ni dans « les médias », ni dans « les militants ».

Certes… je continue.

A la rentrée, j’ai couru pour aller à la réunion de l’unef de présentation de ma filière. J’étais en retard, je m’imaginais entrer dans un amphi bondé, avec tout le monde qui me fusille du regard.

Nous étions 12, dans une salle de TD, et j’ai été très bien accueillie.

On était sous le gouvernement Balladur, et celui-ci avait décidé de diviser par 2 l’ALS, l’allocation logement pour les étudiants. Tous les lundis midi il y avait une réunion, le collectif d’A.G.E. ça s’appelait. Céline, la présidente, nous annonce qu’il faudrait intervenir dans nos TD pour faire signer la pétition, et prévenir de la manif à venir.

A la fin de la semaine, je reviens au local avec les pétitions signées de mes TD, disant qu’on sera plusieurs à participer à la manif. Il y avait là, qui discutait avec Céline, une certaine Danielle Simonnet. Bon, nous on l’appelait Danette (parce qu’on se lève tous pour elle), mais maintenant, vu son statut, on essaie d’éviter !Vous imaginez Thomas Legrand, dans un édito, « danette, la très charismatique candidate du front de gauche à Paris… », non non, on évite.

Du coup, Céline et Danielle m’ont regardée, presque plus étonnées que contentes.

En fait, militer, surtout quand c’est « politique », n’est pas un geste très répandu. Ce qui me semblait tout naturel, aller vers les autres, exposer des idées, en débattre, agir ensemble, paraissait plutôt surréaliste aux autres. Assez vite j’ai ressenti le caractère extra terrestre de la chose.

Pourtant, et pour la première fois, j’ai eu le sentiment de vivre, d’être pleinement moi-même. Pour la première fois, l’immensité du monde s’ouvrait à moi. Je trouvais ça passionnant, de décrypter les événements, de connecter tous les savoirs pour mieux comprendre les processus qui conduisaient la société.

C’était comme si le monde pouvait changer comme ça, juste avec des idées.

Retrouver le caractère performatif de la parole politique

« La gauche et la droite c’est pareil »

« Les politiques sont des menteurs, la corruption est partout »

« Vous n’apparaissez que le jour des élections »

« Une fois élus, vous ne respectez pas vos promesses »

Voilà en gros ce que j’entends depuis 20 ans.

En 1993, Edouard Balladur est premier ministre. On réussit dans la rue à conserver l’ALS étudiante, et on se bat comme des dingues jusqu’à gagner contre le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle), qui proposait d’embaucher les moins de 25 ans à 80% du SMIC. Les étudiants d’IUT et BTS sont hyper mobilisés. Le slogan emblématique, c’est : « papa, j’ai trouvé un boulot, le tien ».

C’est drôle hein, comme les réacs ont de la suite dans les idées… voilà que Pierre Gattaz, nouveau président du MEDEF nous refait le coup du smic jeune, et que le gouverment nous veut revenir sur l’allocation logement étudiante

Ce que n’ont pas perçu beaucoup de gens qui ne voulaient pas « faire de la politique », et encore moins devenir des militants (beurk ?), c’est que le CIP n’est qu’un point d’un plan quinquennal pour l’emploi qui va entamer le droit du travail par l’annualisation du temps de travail et faire passer les salariés du privé à 40 annuités de cotisation pour la retraite, retraite qui sera calculée désormais sur les 25 meilleures années au lieu des 10. Les privatisations et autre joyeusetés achèveront le tableau. Dans la foulée, se déroulent les élections européennes, où la liste du PS conduite par Michel Rocard prend une mémorable branlée : 13%.

En mars 1995, Toulon, Vitrolles et Orange passent aux mains du FN, qui progresse partout. Sinsémilia chante « la flamme a grandi, dans trop d’endroits le feu a pris », et mon pauvre camarade de l’unef Toulon, Luc léandri, entame le long chemin de croix des gens de gauche dans le Var. Aujourd’hui, il n’en démord pas, un gars en or.

En novembre, un mouvement étudiant démarre au motif des carences budgétaires de l’enseignement supérieur. Moi je suis à Nanterre, les Assemblées générales se font à amphis de 1000 archis bondés. A 2 stations de RER de là, se construit le « pôle universitaire Léonard de vinci », qu’on surnomme la fac Pasqua, tellement les fonds publics à cette école privée dans le fief de Charles Pasqua nous révolte.

Au bout d’un mois, les salariés prennent la relève. Le mois de décembre va être fort: un mois de grève des transports, dans le froid, pour garder les retraites. Alain Juppé, premier ministre, déclare qu’à moins de 2 millions dans la rue, il restera droit dans ses bottes. Pari tenu, les cheminots bloquent tout, on est 3 millions dans les rues de france. Les parisiens découvrent le vélo et le co voiturage.

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

Parce que j’avais 20 ans, j’étais toute jeune militante, et que je retrouve dans les résultats des municipales d’aujourd’hui, les accents de ce qu’on a tous ressenti, nous les militants de gauche, politiques, syndicalistes… entre 1993 et 1995 : l’absence de projet de gauche porteur d’espoir, l’arrivée de la droite qui marque le début du démantèlement des acquis de la libération, du programme « les jours heureux » du Conseil National de la Résistance. Ce mouvement entamé par la droite sera repris par la gauche, puisque le PS ne reviendra jamais sur les réformes de la droite quand il se trouvera au pouvoir par la suite. Pire, aujourd’hui sous Hollande, les réformes des retraites de la droite sont aggravées !

Les années 90 marqueront le début de l’ancrage politique du front national dans le pays, tout autant que celui de l’abstention. Mais c’est aussi à partir des grandes grèves de novembre-décembre 95 qu’on va voir réapparaitre les embryons de la résistance à gauche.

En 1996 est créée l’association ATTAC, association d’éducation populaire qui milite pour la taxation des profits financiers. C’est également dans ce mouvement de grève que la gauche a puisé ses forces pour s’unir et gagner les législatives de 1997. Rouge, rose et vert était le gouvernement, qui proposait les 35h, la CMU…

Cette union de la gauche a permis ensuite de gagner des villes, des régions, des conseils généraux. Dit comme ça on pourrait croire que l’histoire finit bien.

Qu’en ont-ils fait ?

Ce récit est celui de la parole défectueuse. Quand on milite, que ce soit dans une petite association, un grand syndicat, un parti politique, c’est pour faire. La particularité des partis est de se présenter aux élections devant tout le monde, pas de façon sectorielle. Un parti politique n’est pas là pour savoir mieux que tout le monde, ni pour expliquer aux gens quoi penser. Il est là pour proposer un projet global qu’il considère être le meilleur « pour tout le monde », pour l’intérêt général. Donc sa parole est censée être suivie d’effet.

De la même manière qu’un maire déclare marié un couple, quand il le dit, c’est une réalisation. Imaginez qu’un maire vous déclare « mari et femme » et que juridiquement vous ne le soyez pas, ou encore qu’un médecin légiste déclare vivant quelqu’un de mort…

Quand un homme politique dit qu’il veut lutter contre les injustices sociales, et qu’il ne le fait pas une fois élu, cela pose un problème quasi juridique, en tout cas constitutionnel : on devrait avoir les moyens de révoquer un élu qui ne tient pas parole.

Le verbe performatif, c’est ça : quand dire, c’est faire.

En 2002, Lionel Jospin alors premier ministre, a annoncé quelque chose de grave : « L’état ne peut pas tout » dit-t-il face aux salariés de Renaud Vilevorde en lutte contre la fermeture de leur site. C’est après cette phrase qu’il aurait du quitter la vie politique. Utiliser la parole politique pour affirmer qu’on ne peut rien faire n’est pas de l’honnêteté, ni du pragmatisme. C’est la négation même du combat politique.

Les gens ont beau être un peu condescendants avec « les politiques », ils gardent toujours une oreille pas trop loin du front, pour savoir quoi faire le jour du vote. A quoi bon voter à gauche, puisqu’elle annonce qu’elle ne peut pas faire une politique de gauche ? A quoi bon voter à droite si on souhaite une politique de gauche ? Reste l’abstention.

Et le front, pas celui qui est devant le cerveau, plutôt celui qui embrouille le cerveau.

Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen est devant Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle.

La gauche a-t-elle réagi ? Et bien en 2005, non seulement le PS prend le parti de voter oui au traité constitutionnel européen qui entérine le libéralisme comme unique possibilité politique, mais il n’accepte pas le vote des français.

55% pour le non, avec une participation record ! Ils s’en tapent, et ratifient le traité de Lisbonne en 2008 au parlement.

Aujourd’hui je vois défiler les socialistes, j’entends les médias, pleurer sur le taux d’abstention,sur l’ancrage du FN dans 14 villes de France.

Mais qui voudrait voter pour des gens qui ne peuvent rien pour le peuple, même pas écouter son vote ?

Qui voudrait voter pour un parti qui dit en campagne qu’il renégociera le traité européen Merkel et le signe sans en bougger une ligne une fois élu ?

Ils disent qu’ils veulent moins d’inégalités, plus de justice sociale et quand ils sont au gouvernement ils annoncent 20 milliards d’allègements de cotisations sociales patronales, augmentent la TVA qui touche les plus pauvres, cherchent à faire 50 milliards « d’économies » dans les dépenses publiques, cassent le droit du travail avec l’ANI, allongent la durée de travail avat de partir en retraite, sont les champions des notre dame des landes, lyon turin et autres grands projets inutiles et imposés, ne se préoccupent du réchauffement climatique que pour faire bien à la télé…

A chaque fois qu’un socialiste annonce qu’il faut être honnête et pragmatique, et assume qu’il ne peut rien à part continuer une politique d’austérité, il enfonce le clou de l’abstention. Les effets désastreux de cette politique libérale, les licenciements autant que la souffrance au travail, les discriminations sexistes et racistes, dans l’indifférence des puissants, sans que jamais cette réalité n’effleure leur conscience… cela incite à la haine. Il n’y a plus de respect pour soi et pour les autres, que de la rage née de la frustration, et tournée vers ses semblables plutôt que vers les nantis, qui captent pouvoir et richesses.

Oui la parole politique est dangereuse, elle a des conséquences.

Ceux qui voudraient encore qu’on les dise de gauche, et font l’inverse, ne mesurent pas à quel point chaque mot qu’ils prononcent se transforme en coup de poignard dans le coeur du peuple de gauche.

Quand il y a fracture, celui qui reste au milieu tombe dans le trou

On est à l’heure où il faut se situer ! Les mièvres en seront pour leurs frais, ceux qui voient en la politique le moyen d’acquérir un strapontin, de la reconnaissance dans l’oeil d’un journaliste, resteront seuls avec leur gloriole.

Avec les militants du Parti de gauche Savoie, nous étions à Grenoble le jeudi 27 mars pour un meeting d’entre 2 tours, excellent, joyeux, politique… Elisa Martin notre camarade nous a remplis de fierté, et quand Eric Piolle, futur maire, a scandé les mesures phares du programme en disant « c’est possible ! », tout le monde répondait « et on va le faire ! ». Résultat : le taux de participation est revenu au seuil de 1995, des bureaux qui étaient tombés à plus de 60% d’abstention se sont retrouvés à plus de 50% de participation, la liste de gauche et écologiste, « une ville pour tous », celle qui part de la réalité sociale, vécue, celle qui dit « et on va le faire », prend 7000 voix entre les 2 tours.

Les communistes qui avaient désespérément continué de suivre les socialistes en disant que « le bilan local est bon », n’ont aujourd’hui plus aucun élu au conseil municipal de Grenoble.

Faut pas rester au milieu, choisis ton camp camarade.

La révolution citoyenne a commencé

Nous, militants qui nous reconnaissons dans le programme « l’humain d’abord », adhérents ou non d’un parti, avons commencé la révolution citoyenne, avec toutes celles et tous ceux qui viennent aux grandes marches, aux réunions, aux ateliers de lecture, avec ceux qui votent front de gauche, avec les élus, avec ceux qui ne votent pas mais font grève, font de la politique partout où ils le peuvent.

Parce que notre parole est vraie, elle est performative, la révolution ce n’est pas un grand soir, ni un petit matin qui chante, il n’y a pas à attendre que les conditions soient réunies au nom de je ne sais quelle théorie politique soi disant marxiste.

La révolution, a commencé, parce que nous le disons, parce que nous osons prendre la parole et détourner le cours des choses, et parce que quand nous gagnons les élections, nous le faisons.

Les élections européennes approchent à grands pas

Les carcans des traités européens et de l’euro ne nous laissent pas grand choix. Si on veut une économie fondée sur la coopération plutôt que la compétition, sur le respect des droits des travailleurs et sur le respect de l’écosystème qui permet la vie humaine, il faut rompre avec cette Europe, et désobéir. La protection de la majorité se fera au détriment de la minorité qui possède les richesses et ne les partage pas, et compte sur notre labeur pour encore s’enrichir.

Il faut rompre avec ce monde, la refondation de l’Europe est le seul moyen d’y arriver.

Alors vous le 25 mai, pour les élections européennes, vous ferez quoi ? Dites-moi un peu…