Chaque année les citoyens s’acquittent de la taxe ou redevance pour les ordures ménagères. Tout le monde convient de la nécessité de payer un impôt qui finance le ramassage des poubelles : ainsi chacun croit régler le problème, car comment se débarrasser de tous ces déchets par soi-même ? On trie bien sûr, mais on ne sent pas le besoin d’aller plus loin.
Et pourtant il suffirait d’un rien pour qu’on ait la puce à l’oreille : l’équivalent d’un 6ème continent de déchets s’est formé dans l’océan, êtes-vous sûr d’avoir bien trié ? Les éco-gestes, vous les faites ?
Ceux qui travaillent dans ce secteur vous diront : « les déchets, ça n’intéresse personne. ». Ce sentiment de secteur mal aimé est savamment entretenu pour expliquer que les ordures ménagères ne rapportent rien. Les multinationales feraient donc tout ce travail simplement pour nous être utiles ?
En réalité, dans le domaine des déchets sans doute encore plus qu’ailleurs, moins le citoyen en sait, plus il est culpabilisé, mieux les profits des financiers se portent.
Qui gère les déchets ?
L’essentiel réside dans cette réalité : la gestion des déchets en France est privée à plus de 90%.
Plusieurs multinationales les mieux implantées sur le marché mondial des déchets sont françaises. Les mêmes détiennent la quasi-totalité des marchés de collecte et d’exploitation des incinérateurs et des décharges dans notre pays : Veolia, (Veolia propreté), Suez, (SITA et Novergie), TIRU filiale d’EDF (51 % du capital). Cette situation oligopolistique s’est construite sur plusieurs décennies et a été éclaboussée par de nombreux scandales politico-financiers (surfacturation, pots de vin, etc.)
Où vont les déchets ?
Suivons les poubelles : des salariés les ramassent, les jettent dans des camions et partent vers une plate forme de tri, plus ou moins performante, où les ordures mélangées doivent être séparées, étape nécessaire au recyclage.
Les parcours entre la collecte et le tri, et du tri jusqu’au recyclage ou « l’élimination », sont de longueur variable.
Les camions parcourent parfois une centaine de kilomètres avant de trouver la décharge. Quand il y a un incinérateur, on peut être certain que les déchets de la région iront alimenter ses fours, car il ne fonctionne qu’à plein régime. L’incinérateur devient un véritable aspirateur à déchets, sans se préoccuper du temps de parcours en camion pour venir jusqu’à lui.
Mais les déchets triés avec soin par les ménages, eux ils sont écolos, non ?
Et non, une bonne partie des papiers et cartons sont recyclés en Chine ! Les papetiers ne savent plus comment faire, le prix de la tonne de papier ne cesse de progresser, et la Chine importe 30% de plus par an de papier venu d’Europe.
On comprend pourquoi l’éco geste est si valorisé : triez bien, on vendra tout ça à l’autre bout du monde pour une somme rondelette !
Le problème écologique est là : on n’élimine pas les déchets !
Suite à l’incinération d’une tonne de déchets, il reste encore 300 kg de mâchefers à enfouir et 6000 m3 de fumées, sans compter les effluents liquides pour le traitement des fumées…
Les déchets ont été caractérisés en 1975 comme la troisième grande pollution après l’eau et l’air, donnant lieu à la première grande loi sur les déchets. Du début à la fin de la chaîne, le productivisme et le capitalisme génèrent des déchets dont on ne sait que faire, qui contribuent à renforcer l’effet de serre (20% des GES d’origine anthropique), ou à polluer les sols et les airs.
De nombreuses associations riveraines, écologistes, se battent contre des décharges louches, l’implantation d’incinérateurs. Les nouvelles usines TMB-méthanisation génèrent une contestation grandissante. En Vendée, 2 militants sont mis en examen pour avoir dit que le compost issu des usines TMB n’était pas utilisable.
On voit que le système sait réagir pour défendre ses intérêts !
Quand le déchet devient ressource
C’est tout le paradoxe de la « chose abandonnée », sans valeur ici, ailleurs elle vaut de l’or. Ordure et ressource à la fois, l’objet déchet est complexe.
Le marché mondial des déchets est d’environ 300 milliards d’euros, entre très peu de mains. Mais à côté des multinationales, on rencontre aussi de petites mains bien pauvres. Descendants des chiffonniers, les biffins, ou encore des entreprises d’insertion, vivent du recyclage. Dans les pays du sud, les « waste pickers » trient les déchets à même la décharge et revendent ce qui se recycle. Au Brésil, 92% des canettes sont recyclées, car le cours de la canette est directement indexé sur le cours de l’aluminium. Le déchet de l’un est le gagne pain de l’autre.
Car avec quoi sont faits les déchets ? Des arbres pour le papier et le carton, du sable pour le verre, de l’aluminium pour les conserves, du pétrole pour les plastiques…
La boucle est donc bouclée : les ressources naturelles se tarissent, et ceux qui ont contribué à les exploiter jusqu’au bout pour accroître leurs profits vont maintenant sous couvert d’écologie les recycler pour nous les revendre !
Difficile de perdre de l’argent dans ces conditions…
Que serait une politique écosocialiste des déchets ?
Actuellement, la réglementation qui prédomine est celle de l’Union européenne. L’UE fixe la hiérarchie des déchets via une directive cadre. Mais comme toute « politique » communautaire, sa mise en œuvre est soumise aux pressions des lobbys.
Les faits que le transfert de déchets dits « non dangereux » permette aux plastiques ou aux cartons de traverser le monde au lieu d’être traités localement, que des surremballages puissent être autorisés par une directive alors que la hiérarchie des déchets en fixe la réduction du volume comme premier principe, ou encore que l’incinération ne soit jamais remise en question, en sont des symptômes.
Le premier enjeu est donc de réduire : en volume et en toxicité, il s’agit de bannir l’obsolescence tout court ! L’éco-conception doit devenir la règle de la production, ainsi que la relocalisation de certaines productions pour avoir le moins besoin possible des emballages. Recycler, consigner, diminuer les emballages, c’est urgent.
Ensuite, créer une filière publique de gestion des déchets, qu’on peut caractériser de bien commun, afin d’empêcher la main mise des multinationales. Cette filière permettrait de garantir un service public de gestion locale des déchets. Les salariés de cette filière seraient donc également impliqués dans la lutte pour éviter d’épuiser encore un peu plus nos ressources naturelles et contre le dérèglement climatique.
Enfin, il est impératif que les citoyens qui s’engagent pour mieux comprendre les enjeux, qui découvrent le monde d’argent et de pollution qui est associé aux déchets, trouvent soutien et relais de leur lutte. C’est un enjeu immédiat, mais aussi dans une conception de la VIème République où les enjeux sont débattus et décidés publiquement.