Il était une fois une dame qui s’appelait Magdeleine, et qui aimait bien les histoires des enfants. Elle était receveuse des postes à Veules les Roses en Normandie. Elle avait décidé, dans les années 50, de transgresser le serment qu’elle avait fait en devenant fonctionnaire aux P&T : elle a ouvert le courrier des enfants qui adressaient une lettre au père Noël.
A quelques années de là, Jacques Marette est secrétaire d’état aux PTT (Postes, Télégraphes et Télécommunications), et il a une sœur, Françoise Marette, qui est très curieuse de l’histoire de Magdeleine Homot. Tellement curieuse qu’elle va chiper l’idée et proposer à son frère de mettre en place un Secrétariat du Père Noël aux PTT.
Ah je ne vous ai pas dit : Françoise Marette est plus connue sous le nom de Françoise Dolto, et tout le monde comprend maintenant mieux pourquoi elle a obtenu gain de cause ! Les histoires des enfants, c’est son dada, son combat, son métier, sa vie. Et elle veut se servir de « la lettre au père Noël » pour soutenir l’imaginaire des gamins.
En 1962, Françoise Dolto devient donc rédactrice au SPN, et travaille avec René Chagnard, dit Chag, qui est un facteur, remarqué pour ses illustrations et scénettes relatant la vie des facteurs.
C’est maintenant que la magie de Noël rencontre celle du service public.
La poste n’a pas toujours été cet endroit où on rencontre surtout des automates et où on nous vend des trucs. Il fut un temps, où les postiers étaient des fonctionnaires, et prêtaient donc serment. Dans ce serment figurait (figure encore, il reste des fonctionnaires à la poste) le secret de la correspondance.
Dans les années 50, plusieurs receveuses des postes ont décidé de trahir ce secret, et d’ouvrir puis de répondre aux lettres des enfants adressées au Père Noël.
Magdeleine Homot, est la plus illustre de ces fraudeuses. Les enfants du coin n’ont pas mis longtemps à découvrir la boîte magique dans laquelle il fallait poster sa lettre au père noël pour obtenir une réponse. Croulant sous les lettres, faisant écrire ses propres enfants le week end, et mal à l’aise avec sa transgression de serment, Magdeleine Homot va demander à sa hiérarchie l’autorisation officielle de continuer cette correspondance.
Mais sinon, où vont les lettres que les enfants envoient ? « rue du nuage qui tousse » ? « très loin au fond du ciel » ?
Les lettres et colis mal adressés sont d’abord triés sur place pour essayer de trouver la bonne adresse. Avant il y avait « l’appel du facteur ». Dans le centre de tri, le courrier était réparti par tournée, et les lettres mal adressées étaient appelées devant tous les facteurs. Ceux-ci connaissaient bien leur tournée, les noms des gens, ils arrivaient à rectifier la petite erreur de numéro, de rue…
Désormais, ce sont les machines qui trient et renvoient automatiquement à la plateforme nos lettres à erreurs jusqu’à ce qu’un être humain finisse pas gérer ça. Ainsi, votre carte postale où vous aviez mis « 222 rue bidule » au lieu de « 22 », met deux mois au lieu de deux semaines à arriver. Sauf si vous dépendez encore d’un petit centre de tri en zone rurale. Mais je vous rassure, il va bientôt être fermé.
Si rien n’est possible avec une adresse, un nom qui ne correspond à rien, le courrier est orienté vers le service des rebus, coupé en plusieurs secteurs, cloisonnés par des portes fortifiées, aujourd’hui, les pièces et les agents sont sous surveillance vidéo. Les agents de la Poste qui travaillent là doivent des comptes aux usagers, cherchent à retrouver destinataires et expéditeurs, notifient ce qu’ils trouvent, valeurs ou produits illicites.
Seuls les courriers du rebus ont le droit d’être ouverts. Concernant la libéralisation de la distribution des colis, je ne saurais dire si les entreprises qui se sont lancées sur ce marché ont ce genre de services, au service d’une telle éthique.
C’est donc dans ce service des rebus qu’atterrissent les lettres adressées au « Père Noël, tout droit jusqu’au matin ». Et c’est là que le Secrétariat du Père Noël a été créé. Environ 2000 lettres traitées en 1962, plus d’1 million et demi aujourd’hui.
Le secrétariat du père Noël est-il encore le lieu de fructification des rêves des marmots ?
Les cartes sont types, l’illustration n’est pas signée, elle sort d’une agence de com, d’ailleurs elle ressemble à une pub, on y trouve l’adresse d’un site internet avec des jeux très stéréotypés, des recettes…
C’est dommage, on aurait pu rire avec des cartes réalisées par des dessinateurs de presse…
Les tentatives de messages commerciaux à destination des enfants sont à peu près contrecarrées, mais les conflits internes à la poste, qui est un des services publics qui, suite à France Télécom, a connu un virage libéral des plus violents, restent présents.
Récemment, le secrétariat du Père Noël a constaté une hausse significative de lettres d’adultes.
Les sociologues s’accordent à dire que l’isolement, la solitude en sont les causes. Forte de ce constat, la direction de la poste a trouvé intéressant de mettre en place un nouveau service payant : le facteur qui vous donne des nouvelles de votre vieux isolé !
Ce que faisaient déjà les agents de la poste, c’est à dire travailler avec les services sociaux et la police, quand au rebus ils trouvaient des lettres de personnes en danger, aider les personnes illettrées à remplir un document, boire le café avec madame Michu en lui déposant son courrier… se transforme par la volonté des capitalistes en un service payant, ou disparait.
Les agents de la poste sont de plus en plus précaires, auront-ils les ressources pour transgresser les règles et aller dans le sens du service public, celui qui n’est pas juste fait pour rendre un service, mais pour maintenir le lien entre les humains, celui qui nous permet de vivre ?
Sans attachement il n’y a pas de vie humaine possible. Sans câlins, sans preuve qu’on compte pour quelqu’un, on meurt autant que si on manque de nourriture. Certains psychologues définissent la bonne santé comme ceci : avez-vous 15 personnes dans votre entourage sur qui vous pouvez compter ? Dans les 15 se trouve peut être le facteur.
Ah on me dit dans l’oreillette qu’il a été viré, suite à la dernière réorganisation de son centre, il avait refusé la seccabilité des tournées. C’est à dire que toutes les tournées sont redistribuées par petits bouts en cas d’absence d’un facteur. C’est à dire que ta tournée change tout le temps, qu’elle est minutée, et que si tu n’arrives pas à la faire dans les temps les heures sup ne te sont pas payées.
Tant pis pour Madame Michu, elle trouvera bien quelqu’un d’autre pour boire son café.
Ou pas.
« Et si on agissait pour la transition énergétique ? » Et ben oui, si on se servait du facteur pour faire payer des trucs que les entreprises devraient faire toutes seules ?
Donc les facteurs vont rendre service… A madame Michu ? oui si sa famille paie, on l’a vu. Mais de mieux en mieux, le facteur peut aider à recycler les papiers des entreprises. Si si, La poste fournit tout ce qu’il faut à l’entreprise pour collecter le papier et sur sa tournée, le facteur récupère les boites pleines de papier à recycler. C’est un genre d’externalisation d’un travail que devrait faire chaque entreprise (c’est la loi) intéressant, car La poste en sus de l’argument écologique, communique également sur les emplois dits solidaires que cela entretient.
Après avoir viré les facteurs non rentables, merveille, ils auront une seconde chance dans une entreprise d’insertion qui recycle les papiers collectés par leurs anciens collègues.
Il est temps de finir notre conte
Et comment faire ? Je sèche. Je ne vois qu’une fin possible :
Le peuple se bougea le cul, fit la révolution et s’accorda enfin des jours heureux pendant très longtemps.