Un mouvement citoyen d’une forme étonnante vient d’émerger au Liban. « you stinck », vous puez, lancent les jeunes de Beyrouth au gouvernement libanais. Ils ne dénoncent pas seulement l’amoncellement d’ordures dans les rues depuis que la société Sukleen a cessé de les ramasser et exploiter la décharge de Naamé à la fin du contrat avec le Liban.
« C’est la question des ordures de ce pays ! » lancent-ils.
Des manifestations assez durement réprimées ont eu lieu le 23 août denier, puis le samedi 29, une manifestation monstre s’est déroulée, qui s’est finie encore dans la violence policière, mais avec une réplique du mouvement qui a monté des barricades.
Le 1er septembre, l’occupation du ministère de l’environnement s’est soldée par des arrestations violentes.
Si on écoute bien les propos des journalistes, de ce qu’ils rapportent, on entend aussi une chose étonnante : le mouvement est jeune, sans attache partisane particulière, et surtout émane de toutes les communautés confessionnelles sans chercher particulièrement à les représenter, à s’en revendiquer. Pourquoi cette précision ?
Le Liban est soumis depuis le mandat colonial français à cette idée qu’il faut que toutes les communautés soient représentées avec un consensus entre elles. Ce système confessionnel a perduré à l’indépendance libanaise en 43, et à la sortie de la guerre civile en 82.
Aujourd’hui, le Liban est sans président depuis une année, l’Etat est livré aux tentatives de corruption et n’arrive plus à fournir les services minimums à la population : coupures d’électricité, aucune prospective sur la question de la décharge et mille autres choses…
Il semblerait que cette idée supposée qu’il faut représenter des communautés pour faire la paix n’ait en fait entretenu que la guerre. Et si ce jeune mouvement montrait que le plus important pour s’entendre et agir est de penser le bien commun ?
Depuis le 19 juillet, la société en charge de l’enlèvement et du traitement des ordures ménagères de Beyrouth et ses alentours, Sukleen, a cessé de le faire. Le contrat qui la liait au gouvernement libanais à la gestion de la décharge de Naamé s’arrêtait, et ni le gouvernement ni Sukleen n’avaient imaginé de suite. Ou plutôt, Sukleen n’avait pas envisagé qu’on puisse se passer d’elle, et le gouvernement n’a rien inventé pour pouvoir le faire. Comme il n’est pas envisageable de continuer à exploiter la décharge de Naamé, pour toutes les raisons valables que sa capacité a été largement dépassée et que les risques sanitaires et écologiques deviennent limites, il faut trouver une solution pour les 2800t d’ordures journalières.
Ambiance de film de science fiction
Les ordures s’amoncèlent, les odeurs de décharge, les jus et bien sûr le risque catastrophique de pollution sont désormais le quotidien des habitants de Beyrouth et sa région.
Cesser d’enlever les ordures ménagères, c’est un plongeon dans le pire de notre imaginaire. Un peu comme si on était totalement livré à notre inconscient : notre vie quotidienne deviendrait peuplée de nos pires angoisses.
Un décor chaotique, des odeurs en permanence, les émanations toxiques, les rats qui prennent place… on se croirait dans un de ces films qui se déroulent après une catastrophe. L’ambiance est sordide, l’humanité rabaissée.
Comme toujours, les rapaces volent autour, prêts à chiper les meilleurs morceaux
La société Sukleen a généré de gros bénéfices depuis 18 ans qu’elle exploite la décharge. Elle imagine qu’elle pourra être reconduite si les dirigeants politiques sont incapables de mettre en œuvre un plan d’action.
Rendre le pouvoir impuissant, voilà un défi que les multinationales adorent relever.
Mais dans le fond, le challenge n’est pas si incroyable : la plupart des pays délèguent la gestion des déchets à des entreprises privées.
Le procès fait par Véolia à l’Égypte qui lui avait confié son assainissement, ou la situation du Maroc qui voit ses coûts de gestion des déchets exploser au profit de plusieurs grands groupes (la tonne est passée de 250 à 350 DH, les entreprises privées et non marocaines contrôlent 75% du marché) en attestent.
L’île de Jerba est sans doute l’emblème de cette absence de politique avec une décharge à ciel ouvert et à moitié sauvage (ouverte, fermée, ré-ouverte…), la gestion publique a été catastrophique, l’intervention d’entreprises notamment allemandes rend la chose ridiculement court-termiste (des enrubanneuses qui font des balles de déchets en attendant « une solution »), en particulier quand on sait qu’un touriste crée 6 fois plus de déchets qu’un jerbien. L’industrie du tourisme à Jerba étant ce qu’elle est : des semaines all included à moins de 500€ pour les européens, la boucle est bouclée. Les actionnaires s’y retrouvent, pas les salariés sous payés sinon la semaine de vacances serait plus chère, pas la santé des riverains des décharges, pas la planète.
Une fois de plus l’engagement des citoyens est la seule solution
Revenons au Liban… Et voilà qu’un mouvement nait ! Je ne sais pas comment, qui, où. Ça a démarré à un moment, à un point où il ne semblait plus possible de ne rien faire sans finir soi-même comme un rat.
Un mouvement qui a ce trait semblable aux mouvements populaires d’amérique latine, d’Espagne, il inverse les rôles. Les puissants dont on enviait la vie deviennent méprisables, le « simple citoyen » devient un héros.
« You stinck ! », le mouvement citoyen a pris le nom qui dit aux puissants, qui ont peut être les moyens de s’éloigner des odeurs, qu’en fait ce sont eux qui fouettent.
Ils dénoncent pêle-mêle corruption, incapacité à gérer, incapacité à s’entendre… ils ne demandent pas « qu’on fasse quelque chose pour les ordures », ils réclament des élections légistatives.
C’est à dire que face à un tas d’ordures, que propose une association citoyenne comme le mouvement écologique libanais (regroupement d’une soixantaine d’ONG) ?
Le tri à la source, le compostage des biodéchets, que les bénéfices du recyclage reviennent à la collectivité. Ce plan permettrait non seulement de régler le problème écologique et de vie quotidienne, mais aussi de réduire considérablement le coût public de traitement des déchets.
Ce plan est plus que réaliste : toutes les villes entrées dans des scénarios zero waste peuvent le confirmer : le tri à la source, la valorisation et le réemploi sont moins coûteux que le traitement, et permettent de créer de l’emploi durable et non délocalisable.
Par ailleurs, des députés d’opposition demandent depuis longtemps que les collectivités locales prennent les Ordures ménagères en charge et puissent revendre elles-mêmes les recyclables.
Et que fait un gouvernement à la dérive mais qui s’accroche au pouvoir ?
Il propose de mettre les ordures dans un bateau et de les envoyer en Afrique et en Europe… Véolia était candidate.
CQFD : concenant les vraies ordures de cette situation, qu’ils s’en aillent tous…
nb : J’ai pioché les photos sur le net en tapant « libre de droit », mais si un photographe n’était pas d’accord pour une telle publication, me le dire de suite…
nb2 : ne connaissant pas plus le Liban que ce qu’on m’en a raconté à l’école, je suis preneuse d’informations et de contacts avec le mouvement you stinck