Margaret Thatcher occupe une place de choix dans ma vie, elle a permis de me forger une conscience : ce qu’elle est je ne le serai pas.
Je m’en suis rendu compte quand j’ai commencé à travailler sur ma conf gesticulée sur la parole des enfants « libérés délivrés ? Alertez les bébés ! ». A force de travailler, ça remonte, les souvenirs. Et celui de Bobby Sanders notamment, ainsi que celui des grèves des mineurs anglais.
Du côté de ma mère on est bretons, et son compagnon était militant anarchiste et syndicaliste. Ce qui fait qu’on écoutait la musique, qu’on était sensible à conserver une langue. Longtemps j’ai cru qu’il s’agissait de préserver une culture régionale. Aujourd’hui, je me demande pourquoi résumer la culture d’un peuple à une langue ou de la musique ? La folklorisation de la question sociale m’est devenue globalement pénible…
La culture irlandaise, et dans une mesure différente, bretonne, c’est la culture d’un pays colonisé. De Cromwell lors de la première révolution anglaise, à Thatcher, la culture irlandaise c’est celle de l’interdiction de choisir son culte, de parler sa langue, oui, mais d’abord c’est l’obligation de crever de faim, d’être massacré, de ne pas avoir le droit de cultiver les légumes dont on a besoin, de ne pas avoir accès aux études, aux métiers que l’on souhaite, de ne pas avoir accès aux logements, d’avoir des droits civiques amoindris.
Être irlandais c’est grandir avec l’idée que « seules nos rivières coulent librement ».
Quand j’étais enfant (84-85), Maggie Thatcher décide brutalement (cette femme est une brute) la fermeture de mines de charbon. Le syndicat des mineurs va se battre contre le projet, mais probablement, pas uniquement pour « leur emploi », ou le plaisir de descendre à la mine. A 9 ans je ne comprenais pas les enjeux, je ne les connais toujours pas vraiment. J’avais juste cette image de mon beau père, racontant comment depuis la France ils essayaient de soutenir les grévistes anglais, et notamment en envoyant des cadeaux pour les enfants, qui allaient passer Noël sur les piquets de grève.
Noël est pour moi une fête importante, je ne sais pas pourquoi. Je trouve que priver des enfants de cette attente, de ce désir, de cette libération de l’imagination pour s’inventer des histoires, c’est cruel. D’ailleurs les gens qui détestent Noël racontent souvent comment ils ont été privés de la fête quand ils étaient enfants, d’une façon ou d’une autre, ils détestent ce souvenir car il représente la privation d’un moment qui aurait dû être de rêve.
La culture celte me collait aux basks, et je savais, même si je ne l’avais pas étudié à l’école, et bien que pas née au moment de la mort de Bobby Sands, je savais qui était Margaret Thatcher : la haine, la vilaine sorcière de l’est, un truc méchant comme c’est pas permis. Celle qui avait laissé mourir de faim 9 prisonniers politiques, Bobby Sands en tête. Et je savais que la faim pour les irlandais et les bretons ce n’était pas une petite question.
1 million de morts au milieu du XIXeme siècle en Irlande, morts de faim, durant 5 interminables années, où le mildiou détruisait la seule plante que les irlandais avaient le droit de faire pousser, où le commerce et le libre échange des anglais se propageait comme une maladie, exportait le peu qu’il restait de denrées, et tuait d’autant plus le peuple irlandais. Pour un si petit pays, 1 million de morts et des millions d’émigrés dans les états-unis d’Amérique naissants, qu’est-ce que ça peut laisser comme trace un siècle plus tard ?
Bobby Sands s’est suicidé, sans doute, plutôt mourir de faim que de bouffer leur soupe. J’ai mis le temps à regarder le film « Hunger », de Steve McQueen, parce qu’il est rude, ne nous épargne rien de l’horreur de l’incarcération des militants de l’IRA, et de leur résistance, à l’intérieur (la grève de l’hygiène et des couvertures, ils vivent dans leurs excréments, leurs restes de nourriture, et ne se couvrent que d’une couverture), mais aussi à l’extérieur, où les exécutions de gardiens de prison par l’IRA et les attentats rendent l’atmosphère irrespirable.
«J’étais seulement un enfant de la classe ouvrière d’un ghetto nationaliste. Mais c’est la répression qui a fait naître en moi l’esprit révolutionnaire de liberté.» Écrit Bobby Sands en prison. Il a 27 ans, il va mourir, ses co-détenus le savent, et le suivent. Ses parents le savent, l’aumônier le sait. A l’extérieur on le fait élire député en espérant que Maggie cède, qu’elle ne laisserait pas mourir un député.
Margaret Thatcher ne cède jamais. Elle refuse de considérer ces prisonniers comme politiques, elle ne voit en eux que des criminels. Comme enfant, j’étais très impressionnée par la lutte armée, et je suis restée hostile par principe au terrorisme. Qu’est-ce qui fait la légitimité de la violence à l’aveugle ? Je ne trouve aucun argument. La lutte armée c’est peut être différent, quand on est face à un gouvernement qui use de son autorité comme l’a fait la grande bretagne avec les irlandais, et massacre de fait. Les policiers et l’armée doivent savoir qu’ils ont en face des humains, capables eux aussi de violence, et non des bêtes qu’on peut abattre sur ordre.
Cette question me terrifiait à 9 ans, elle me terrifie encore. Alors hier, le service publique de télévision a mis sous mes yeux le film « Hunger », et j’ai décidé de ne plus esquiver. J’ai regardé cette violence, et je n’arrive toujours pas à être neutre. Je pense qu’à 9 ans j’ai basculé dans un camp, merci Mme Thatcher : celui des opprimés, et classe contre classe, puisque c’est le moteur de l’histoire, trouver le moyen de sortir de la violence partout et tout le temps. Je parle de la violence politique, pas de celle qu’on a tous en nous, et qui a sa fonction.
Bobby Sands a retourné le stigmate, certes contre lui, la violence de la faim et de la souffrance imposées par un pouvoir politique colonial, puis colonial et capitaliste, un pouvoir qui a besoin de déconsidérer tout un peuple d’êtres humains pour pouvoir l’asservir (puisqu’ils ne pourraient pas traiter ainsi leurs enfants, la seule solution est de ne pas considérer les enfants des autres comme des semblables pour pouvoir les traiter si mal), pour leurs intérêts stratégiques, pour leurs intérêts commerciaux, pour leur intérêt quel qu’il soit.
Le peuple irlandais ne s’y est pas trompé et le sacrifice de Bobby et ses camarades ne fût pas vain. Grave question qui concerne la violence militante : est-ce en vain ? Est-ce pour l’honneur ? Est-ce que ça se retourne contre son camp ? Mais non, l’injustice était tellement manifeste, le sort des irlandais trop terrible pour que la méchanceté crasse de la dame de fer et de son camp ne se voit pas.
C’était assez dur à supporter, comme film (je suis de celles qui ont vomi quand on leur a montré nuit et brouillard au collège, et encore au lycée), et je ne le conseille pas si on est un peu fragile. On peut prendre conscience de la réalité sans se la prendre dans la gueule, heureusement. Mais je crois que la petite fille de 9 ans comprend mieux pourquoi elle devenue cette femme de 46 ans.
C’est bientôt noël et je vous souhaite de bien rêver, car tout ce qu’on peut imaginer est de la liberté de gagnée.