« Napoléon est un petit cochon allemand. Il n’a pas connu sa mère et on lui a coupé la queue à la naissance. Il vit avec ses congénères dans un élevage intensif de 1847 porcs, avec environ 3 porcs au m². De temps en temps, il sent la morsure d’un de ses frères. Le cochon est omnivore, et quand il a faim, il n’est pas rare qu’il s’attaque à son voisin.
Napoléon adore le moment où on vient lui donner ses antibiotiques, c’est le seul moment où la porte s’ouvre et où la lumière entre dans la stalle. Il mange des farines et le temps passe. Il ne sait pas trop ce qu’il a à faire de son temps. Une légende court qu’autrefois, les porcs servaient à manger les restes pour ne pas jeter, qu’ils étaient intégrés dans une ferme avec d’autres animaux, que chacun avait sa place et son utilité. Il parait que les vieux porcs montraient l’exemple aux jeunes gorets, qu’ils vivaient dehors, que les petits tétaient leur mère.
Napoléon n’est pas du genre à croire toutes les fadaises qu’on lui raconte, surtout que personne ici n’a pu vivre assez vieux pour voir d’autres porcs plus vieux qui auraient pu leur transmettre quoique ce soit. Cependant Napoléon se demande bien ce qu’il fait là. Et le temps passe.
Un jour, tout son carré est embarqué dans une grande machine roulante. Ils sont ensuite déversés sur un tapis roulant, attrapés par les pattes par des machines, qui leur ouvrent la gorge, les découpent, les dépècent, et les placent dans les barquettes en polystyrène, entourées de plastique.
L’usine qui s’occupe de cela abat 600 porcs par jour pour un coût d’abattage de 1,03€ par porc, puisque les humains qui font ce travail, on ne les appelle plus des paysans, et ils ont un salaire très faible, qui ne leur permet pas d’acheter du porc de ferme.
Évidemment, il y a beaucoup de viande produite, la sur production est estimée à 20%. Les saucisses de porc seront vendues à 4€23 du kg chez Aldi alors qu’en ferme bio et locale elles sont entre 10 et 12€. »
– Mais grand-père, pourquoi me racontes-tu cela ?
– Pour que tu comprennes la suite mon petit.
– Quelle suite, grand-père ? Et qui sont ces hommes avec leurs machines qui arrivent au loin ?
– Ces gens, mon petit, ce sont les bûcherons. Ils viennent nous couper, car pour pouvoir vendre Napoléon, il faut faire des promotions alléchantes, sinon qui voudrait acheter et manger de cette viande là ? Et pour faire une bonne promo, il faut des prospectus qui seront mis dans les boites aux lettres par des retraités dont la pension est trop faible. Ils complètent donc leur revenu par ce petit job.
– Mais grand père, tu veux dire qu’ils vont te couper pour vendre de la mauvaise viande à bon marché à des gens qui ont été tellement exploités durant leur vie qu’ils n’ont pas une retraite suffisante pour se payer de la bonne viande ?
Hier un charme a bruissé qu’un tiers de la nourriture vendue est jetée, alors qu’un humain sur 6 soufre de mal nutrition. Et aussi que ce gaspillage est en grande partie lié au fait qu’on transporte cette nourriture sur de trop longues distances, avec des risques de rupture de chaîne du froid, ou parce que la grande distribution n’en veut plus si les produits sont fanés, ou encore qu’il y a beaucoup de pertes dans les chaînes de fabrication des plats pré-cuisinés, c’est vrai grand père ?
– Oui mon petit, mais je voulais aussi te dire ceci : le vent apporte de bonnes nouvelles. Des hommes se rebellent et empêchent les déforestations, les expropriations de paysans, l’agriculture intensive. J’ai même entendu des platanes des villes dire que certains humains se battaient contre la publicité.
Alors sois un bel arbre mon petit, grandis et fortifie toi, ainsi les humains seront fiers de refuser qu’on te coupe pour faire la publicité d’un monde de gaspillage et de pollution.