Créons une sécurité sociale du réemploi

Ma conf gesticulée « déchets et des hommes » a infusé 10 ans dans son jus de poubelle…

Cela fait 10 ans que je joue une conf qui parle des déchets, de « la face déchets du capitalisme », et il m’a fallu tout ce temps pour comprendre pourquoi. Ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise, je l’ai compris à l’épreuve des poubelles, des décharges, des ressourceries et des gens qui s’en occupent. Puis j’ai créé une ressourcerie, et j’ai réalisé que les objets me parlent et me racontent leur vie. Depuis 10 ans que je passe régulièrement (souvent…) dans l’envers du décor, la vie des sociétés humaines se rend plus compréhensible.

Il m’a fallu ces 10 années pour que je réussisse à formuler ce qui me porte et me retourne les boyaux à la fois, cette capacité à transformer les humains, et toute forme de vie, en marchandise, et toute marchandise en dictateur du « Il n’y a pas d’alternative ».

Ma conférence gesticulée est politique, mais je ne cherche pas à débiter des slogans. Simplement, il faut une suite à ces 10 années, et j’ai envie que les gens que j’ai rencontrés, qui mettent tant d’énergie, d’intelligence à faire, proposer, pour sauver quelque chose trouvent comment réemployer toutes les actions, idées qu’ils et elles m’ont partagées. Chercheuses, associations, élus, fonctionnaires, chargés de mission, activistes, biffins… Vous m’avez beaucoup appris, et je sens qu’il faut converger :

Voici une proposition. Voulez-vous qu’on y travaille ensemble sur cette idée : est-elle fédératrice ? Comment la rendre faisable ?

Si celle-ci vous semble une piste, allons-y !

Qui consomme jette

La sécurité sociale a été créée pour protéger la classe laborieuse de la précarité face aux grands risques de la vie : maladie, vieillesse, chômage, accidents du travail, besoin de formation, soutien en cas d’agrandissement de la famille…

Les questions de la consommation, de la fin des ressources et de l’énergie sont aujourd’hui un risque de précarité majeur, où la question écologique vient croiser la question sociale.

Par exemple, des microcrédits sociaux sont proposés par la CAF (branche famille de la sécu) pour acheter des biens matériels aux personnes ayant un quotient familial bas : un lit pour un bébé, une machine à laver, un réfrigérateur…

La CAF a donc conscience que les actes de consommation sont importants, non pas pour avoir beaucoup de choses, mais pour vivre dans de bonnes conditions : sans machine à laver le linge, sans réfrigérateur, des questions sanitaires peuvent se poser, ou un déséquilibre au sein de la famille, ne permettant pas, a priori à la femme, de travailler pour avoir le temps d’accomplir les tâches domestiques, ou alors de travailler en plus et d’être donc très fatiguée.

Si on réfléchit un peu plus loin, on mesure que les besoins en métaux, en plastiques et en énergie pour fabriquer les choses dont il est question ne pourront pas être comblés, au fur et à mesure des années qui viennent.

La question d’avoir accès au réemploi pour les biens de consommation est donc une piste à la fois contre la précarisation et le tarissement des ressources naturelles et de l’énergie. Produire des objets durables, réparables, et soutenir l’achat de seconde main plutôt que le neuf, sont les deux premiers piliers de la sécurité sociale du réemploi.

La sécurité sociale a été créée selon le principe : tout le monde cotise à hauteur de ses moyens et demande à hauteur de ses besoins. Ce principe permet de remettre un peu d’égalité face aux risques, en opposition au modèle assurantiel de cotisation individuelle qui ne permet pas une demande à la hauteur de ses besoins, mais bien en fonction de ses moyens.

Il se trouve que la consommation est taxée, au delà de la TVA, pour contribuer à la baisse du volume des déchets générés par le système consumériste. Il s’agit de l’éco-taxe. Chaque flux d’objets industriels dépend d’un éco organisme qui collecte une éco taxe, qui sera reversée aux collectivités qui gèrent les déchets. Le principe de cette éco taxe était celle de la responsabilité élargie du producteur (REP), le principe pollueur payeur pesait lui sur le consommateur qui paie donc cette éco taxe. L’objectif lors de la création des filières REP était de limiter la prolifération des déchets, en responsabilisant les producteurs sur la fin des objets produits.

Finalement, loin d’avoir permis une meilleure gestion et une réduction des déchets à la source, le système des filières REP a généré un marché du recyclage et de l’incinération. Le robinet est grand ouvert : la production est maximale, la réparabilité très faible, le recyclage un enfumage, mais on continue de faire croire aux citoyens qu’ils sont des consomacteurs et qu’ils ont individuellement un grand pouvoir à de ne pas consommer ce qui est déjà produit et présent dans les rayons des magasins.

L’argent existe donc, tout le monde cotise : il suffit de récupérer les éco organisames, et de changer le mode de redistribution en reprenant le principe coopératif de la sécurité sociale.

Car la sécurité sociale était à l’origine également dans un fonctionnent coopératif, pas seulement dans la réciprocité de la cotisation et de la redistribution de l’argent, mais aussi dans le principe de gestion par les intéressés eux-mêmes.

C’est donc la dernière similitude entre le projet de SSR et la sécurité sociale : il s’agit de créer les caisses locales, régionales, nationales… qui permettront aux citoyens de décider ensemble des critères de la production, de la mutualisation, et du meilleur réemploi possible du tas de déchets, en plus de la redistribution individuelle envisageable de l’éco taxe pour les besoins en consommation.

Comme en 1945, lorsque la sécurité sociale a été créée par le ministre Ambroize Croizat et que la CGT était prête pour la mise en œuvre, un nombre incalculable d’associations, de ressourceries, de réseaux du réemploi, de chargées de mission des collectivités, de chercheuses, d’ingénieurs œuvrent déjà pour le réemploi.

Il s’agit donc seulement de trouver la forme qui permette l’épanouissement de tout ce savoir faire.

S’il parait peu probable que le gouvernement actuel se décide à nationaliser les éco organismes, il est tout à fait envisageable que des collectivités locales, des plateformes regroupant les acteurs locaux, commencent à travailler.

Les autres piliers de la SSR comprennent l’état du monde et de la production.

Par exemple, relocaliser la production de textile sur des bases écologiques et sociales, c’est bien, mais le faire en coopération à l’international, c’est mieux. Car si du jour au lendemain toute la France cessait d’importer des vêtements du Bangladesh, c’est toute une population ouvrière qui serait encore plus appauvrie qu’elle ne l’est déjà. Les syndicats existent dans les pays pauvres, le droit du travail et les réglementations environnementales aussi. Et bien des ONG ont montré à quel point le non respect des réglementations de ces pays était du fait des multinationales, qui remplissent les rayons de nos magasins et nos poubelles d’emballages toujours plus sophistiqués avec une main d’œuvre et des ressources naturelles surexploitées..

Cette production massive a également vu des zones entières ravagées : lac asséchés, rivières polluées, carrières non restaurées…

Brumadinho, Brésil, 2019, rupture de digue de la mine de fer gérée par Samarco

C’est pourquoi une partie de la SSR doit être consacrée à coopérer avec les organisations, syndicats, associations existantes dans les pays producteurs, ainsi que les ONG qui travaillent à les soutenir. La question du respect et de l’élargissement du droit du travail dans le monde entier devient aujourd’hui non seulement une bataille pour le respect des humains, mais une urgence écologique.

Les 3 principes de la SSR :

  • protéger la population des effets conjoints de la précarité sociale et de la fin progressive des ressources naturelles et de l’énergie abondante
  • récupérer les éco organismes et l’éco taxe au profit du réemploi dans un cadre public et de coopération : nationaliser les éco organismes, créer des caisses locales, créer des aides individuelles à l’achat de réemploi
  • coopération locale, nationale, et internationale pour le réemploi, les critères de la production, et la restauration des sites pollués

C’est bien, mais ensuite ?

Si la présentation vous a semblé intéressante, peut être pouvez-vous échanger par téléphone ?

Si un groupe de personnes, d’organisations, se dégage, l’association d’éducation populaire « la coopérative citoyenne » avec laquelle j’œuvre est d’accord pour porter l’organisation d’un travail collectif.

Franchissons le pas !

Tifen Ducharne, 06 73 40 81 13, SecuSocialeDuReemploi@verveineetpolitique.com