L’an passé, j’ai eu à participer à un groupe local de l’économie sociale et solidaire. Nous voulions produire une charte, un texte fondateur qui donnerait à tout le monde l’envie de faire comme nous, de rejoindre la dynamique. Il fallait que ce soit positif, on voulait y mettre notre cœur, dire ce qu’on veut plutôt que ce qu’on ne veut pas.
Et ben c’est pas facile…
« Je ne suis pas en lutte, je cherche à construire »
« Construire un nouveau modèle, c’est bien se distinguer de celui dans lequel on vit, c’est une lutte ! »
« Pour donner envie, on ne peut pas être contre, il faut être pour »
etc.
Vous situez l’embrouille ? Nous avons supprimé une phrase qui disait qu’avec l’ESS il n’y aurait pas de délocalisations, juste parce que la phrase était construite avec une négation, et que c’est négatif les négations… J’imagine que les salariés des entreprises qui délocalisent se sentent bien plus positifs maintenant (normalement, vous sentez au ton que je suis agacée).
Pourtant, malgré mes réticences, mes résistances, j’étais troublée. Moi aussi j’avais envie d’enthousiasme, d’entrain, moi aussi j’espère construire un monde juste plutôt que me battre toujours contre les injustices.
Et par hasard, je suis tombée sur le film « No », de Pablo Larrain.
Se sortir de l’image qu’on a de soi
Ils sont 3 hommes dans une maison en bord de mer. René Saavedra est un jeune communiquant, brillant, fils d’un opposant à Pinochet, il a passé son enfance en exil. Le second est aussi un communiquant reconnu, qui veut bien l’aider à condition que ça ne se sache pas. Le troisième homme, José Urrutia est un député communiste. Il coordonne la campagne du NON au référendum organisé par le gouvernement de Pinochet. 17 organisations d’une coalition très large, dont le point commun est d’être opposées à la dictature, doivent mener en commun cette campagne. Tous les soirs, ils devront produire un spot télé de 15mn.
Ce referendum n’est pas tellement pris au sérieux par les partis d’opposition. Quand ils se réunissent avec René Saavedra, et qu’il leur demande s’ils pensent gagner, la représentante d’un parti répond « bien sûr que non ». Pinochet, sous la pression internationale a organisé une consultation pour demander si les chiliens souhaitaient des élections ou qu’il poursuive son oeuvre pendant encore 8 ans. Personne ne pense qu’Augusto Pinochet puisse organiser quoique ce soit qui ne soit pas truqué en sa faveur.
L’ardeur, ça compte !
Saavedra n’envisage pas sa vie comme un militant. D’ailleurs quand on lui demande, il ne sait pas dire quels sont les partis en jeu, ce n’est pas son monde, on ne sait pas s’il craint ce monde ou s’il le déteste. Est-ce qu’il s’en fout éperdument ?
Les militants responsables des partis qui sont là sont des rescapés de la dictature. Tous ont perdu des amis, des membres de leur famille, tous ont vécu avec le harcèlement du régime, aucun n’a jamais pu s’exprimer librement.
Saavedra va se lancer dans ce référendum comme un défi lancé à on ne sait qui, et Urrutia, intuitivement, va entrainer tout le monde dans une voie que les partis et militants n’auraient jamais empruntée.
Ils font des choses qui ne paraissaient pas vraisemblables, ils le font avec plaisir, ils vont au delà d’eux-mêmes, le vent d’une liberté nouvelle les porte.
Une trouvaille de communication, on le sait quand ça marche…
Il y a comme un blanc quand Saavedra et Urrutia montrent la première maquette de la vidéo aux partis de la coalition : un arc en ciel pour représenter la coalition, pas de logos, des gens qui dansent, et une chanson un peu cucul.
« Chile la alegría ya viene : Chili, la joie vient »
Pourtant la coalition accepte de laisser tourner ces vidéos. Ils vont devoir filmer avec des équipes clandestines, qui passent de rue en rue pour éviter la police. Le résultat : un passage de drapeau à cheval, un pique nique où toute la famille a le sourire, un homme qui fait non avec son doigt en suivant les essuis glaces de la voiture… et cette chanson cucul qui reste coincée en tête, qu’on chantonne malgré soi !
Ça fonctionne, les chiliens aiment, l’équipe du gouvernement commence à s’inquiéter.
Le rapport de force est engagé
« Il faut dénoncer cette censure, on va tout expliquer aux gens ! »
« Tu nous emmerdes à vouloir toujours dénoncer, il faut être plus intelligent que ça, il faut se servir de leur censure, qu’est-ce qu’on pourrait trouver ? »
Depuis des jours, ils sont suivis, harcelés, ils doivent protéger la maquette de leurs vidéos. Toutes sont émouvantes, donnent de la joie, ou de la force quand ce sont les veuves, soeurs, filles de disparus qui chantent en costume traditionnel, dignement, solennellement, la mémoire de leurs proches, victimes de la dictature.
Cette fois-ci, la censure annonce que la vidéo pose un problème juridique, la vidéo des partisans du NON ne passe pas ce soir. Ils vont s’en amuser, montrer un No qui triomphe de la censure, rendre le régime trouillard, perdu, hou ! Les mauvais joueurs !
Encore un point pour le NON.
Cette nuit-là, un appel anonyme menace le fils de Saavedra, qui panique. Sa femme va le prendre en charge. Pour la première fois, elle la militante, qui le raille et le trouve toujours trop peu engagé, elle lui dit sérieusement « ne t’inquiète pas, c’est que vous avez touché juste, c’est bien ce que tu fais ».
C’est donc ça un militant de gauche ? Quelqu’un qui raille ceux qui ne font pas comme lui ? Qui les trouve pas assez, ou bien trop… qui rompt la solidarité au moindre désaccord tout en ayant constamment ce mot à la bouche ?
Il faut donc être touché, blessé, en danger pour qu’enfin on ait grâce à leurs yeux ? Face à tous ces gens qui n’y croyaient pas, Saavedra n’avait qu’un but : gagner. Pas dénoncer : gagner, et il va au bout de son idée !
Je ne pensais pas dire cela un jour, mais lors de cette scène, j’ai résolument basculé du côté du communiquant.
Fin de l’histoire ?
Incroyable. Ils l’ont fait, ils ont gagné, le Non l’a emporté. Eux-mêmes ont un temps d’arrêt, « c’est pas possible ».
Si : les généraux lâchent Pinochet, le résultat est annoncé sans triche : le Non est majoritaire ! Hurlements de joie !
On voit Saavedra quitter la salle pendant que Arutia donne des interviews.
Saavedra, jeune communiquant de gauche et Guzman, son collègue pinochetiste reprennent leurs activités communes. Ils font la com d’un soap qui montre des femmes éblouissantes en plein shooting. Cette pub va passer en direct au journal de 20h : leur plan com fait passer une pub pour une info.
Le capitalisme, après avoir installé la dictature par les armes, la terreur et le sang, contre le régime éminemment pacifique d’Allende, s’installe dans les foyers par la camisole chimique que constitue la culture de la consommation.
La paix ? Dans la mesure où les intérêts du capital ne sont pas en jeu. Si « la joie qui vient » veut dire un gouvernement socialiste, qui installe l’égalité, la justice sociale et écologique comme cela a été le cas dans les pays d’amérique du sud, vous voyez revenir la violence armée.
La paix ? Malgré l’image positive et joyeuse donnée par les spots télévisuels, la campagne du Non n’a pas été à proprement parlé paisible et la suite ne s’est pas faite sans difficultés : vivent les militants qui étaient sur le terrain, quotidiennement, qui ont tenu bon face à la dictature pinochetiste, dans un chili devenu ultra libéral. Ultra-libéral, ça rime avec violence sociale. Le capitalisme cache ses morts au travail derrière ses écrans de pub. On peut le prendre à son propre piège de temps à autres, mais il sait rebondir.
La paix ? Peut-on vivre serein dans un monde d’illusion ? On peut faire un compromis, temporaire. Mais pour moi, la lutte continue, joyeuse si possible ou pas s’il le faut, créative en tous cas, et bienveillante autant que je peux. Mais en lutte, à n’en pas douter, et jusqu’à ce que la justice advienne.
Chile la alegría ya viene Porque diga lo que diga, yo soy libre de pensar Porque nace el arco iris después de la tempestad Vamos a decir que no (oho) con la fuerza de mi voz Terminemos con la muerte es la oportunidad Vamos a decir que no (oho) con la fuerza de mi voz Vamos a decir que no (oho) yo lo canto sin temor Chile la alegría ya viene |
Chili la joie vient (x 3) Parce que quoi qu’on en dise, je suis libre de penser Parce que je sens que c’est le moment de conquérir la liberté Jusqu’à quand encore les injustices, il est temps de changer Parce que ça suffit la misère, je vais dire non Parce qu’apparaît l’arc en ciel après la tempête Parce que je veux que puissent s’épanouir mes opinions Parce que sans la dictature, la joie va revenir Parce que je pense à l’avenir, je vais dire non Nous allons dire non avec toute la force de ma voix Nous allons dire non, je le chante sans peur Nous allons dire non et ensemble, nous allons gagner Nous allons dire non, pour la vie et pour la paix Finissons-en avec la mort, c’est le moment De vaincre la violence avec les armes de la paix Car je crois que ma patrie a besoin de dignité Pour le Chili, pour nous tous, nous allons dire non Nous allons dire non avec toute la force de ma voix Nous allons dire non, je le chante sans peur Nous allons dire non et ensemble, nous allons gagner Nous allons dire non, pour la vie et pour la paix Nous allons dire non Chili, la joie vient (x 3) |
Merci Hélène Tagand pour la trad à l’arrache !