Extrait d’enregistrement Thierry Tifen (je dois avoir 3 ans ?)
J’espère être à peu près correctement vêtue et peignée. Tu n’étais pas à cheval sur les convenances, c’est le moins qu’on puisse dire.
Mais la seule fois de ma vie où tu as failli me coller une baffe, c’était parce que je refusais de me coiffer un jour où nous étions invités chez les Pillot. Tu as toujours refusé la moindre violence physique à mon égard, parce que tu en avais souffert, enfant.
Papa, mon papa, je ne pensais pas que ce jour viendrait. Tu as traversé tellement d’épreuves et tu es tellement robuste. Naitre pendant la guerre avec une mère qui se met à aider des résistants, être soldat toi-même en Algérie, dans cette guerre qui ne disais pas son nom, qui t’a fait faire tant de cauchemars et tu ne parlais presque pas, sauf pour dire qu’il n’aurait pas fallu la faire.
Robuste, sportif, il le fallait pour traverser le lac du Bourget à la nage, surtout en suivant la barque de ta cousine qui flirtait en même temps, et rendait le trajet assez aléatoire, il le fallait aussi pour mettre en œuvre toutes les bêtises de vacances avec ton cousin au pays Basque.
Curieux de tout, tu as croqué la vie à pleines dents. L’Afrique, plusieurs années. Tu rêvais de faire le tour du monde en bateau par la suite. C’est ainsi que tu as connu Régine, ma mère. Est-ce ce ma faute si tu n’as plus voyagé ? Tu mettais un point d’honneur à t’occuper de moi, tous les jours. Et quand tu as rencontré Odile quelques années plus tard, qui elle, savait naviguer, tandis que toi tu préférais régler les voiles (je préfère ne pas répéter tous les gros mots que tu as vociférés sur ce bateau pour savoir de quel côté prendre une bouée etc…), l’achat du bateau à Granville est vite arrivé. J’en ai des souvenirs plus ou moins flous, n’ayant pas hérité du pied marin semble t’il.
Derrière ton foutu caractère, c’est la très grande générosité, accueil de l’autre que je veux garder en tête. Tu aimais les rencontres, les gens, quels qu’ils soient. Tu t’émerveillais de tant de choses. Même des animaux. Tradition familiale, il a toujours eu à la maison perroquets, chats, yorkshire. Tu étais indigné qu’Odile ait aspiré cette araignée dans les toilettes à qui tu donnais des mouches, et que tu avais même baptisée !
C’était quand même un spectacle de voir cette carne de cancanette prendre soin de la vieille chatte ou faire l’éducation des yorkshire ! Et il y a peu, tu disais que cancanette te manquait beaucoup.
Pour finir, papa, mon papa, je voudrais te remercier pour la belle famille que tu m’as faite.
Chez nous, c’est mieux. On a plus qu’une famille. Moi j’ai grandi avec un papa, une maman, des cousins et cousines, un beau père et une belle mère. Grâce à mon beau-père et ma mère j’ai une sœur et un frère, qu’Odile et toi avez pris sous votre aile comme si c’était tout naturel. Grâce à ma belle mère j’ai de beaux oncles et tantes, et de beaux cousins et cousines. Et même, grâce à ma mère maintenant mes enfants ont un beau grand-père.
J’ai poussé le bouchon encore un peu plus loin, en découvrant cette forme toute particulière de fraternité qu’est la camaraderie. Les camarades, c’est la famille des idées, des combats politiques. Ce sont ceux qui me font la chaleur d’être là, juste parce qu’ils me savent dans la peine et parce qu’ils partagent avec moi cet engagement, qui n’est pas un échappatoire, mais le seul moyen pour nous de donner un sens à la vie, et à la mort.
Papa, mon papa, j’achève ici, parce que tout a une fin, sauf mon amour, sauf ta mémoire.
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